Funny Zoo

Marseille, parc Longchamp, 4e arrondissement. "Instructif, pédagogique et amusant, l’événement Funny Zoo a fait rugir de plaisir en 2013 les amateurs de nouveautés et d’aventures mais aussi les nostalgiques de la grande époque du jardin zoologique de Marseille », annonce le site internet « tourisme-marseille.com".Cinq ans plus tard, c’est la débâcle. Je découvre par hasard au cours d’une promenade les vestiges de ce "zoo unique au monde", et j’ai bien du mal, à mesure de mes déambulations devant ces animaux en fibre de verre aux couleurs criardes; fissurés, cassés, tagués ou couchés en PLS et semblant désespérément attendre des secours qui ne viendront jamais, à saisir l’intérêt "ludique et pédagogique de cette initiation en douceur à la biodiversité". J’eus plutôt l’impression qu’il s’agissait de s’initier en douceur à l’extinction des espèces dans un futur post-apocalyptique.

 Par cette après-midi de grisaille, c’est une expérience des plus sinistres qui s’offre à moi. Ces animaux (de taille réelle) semblent abandonnés à eux mêmes, comme ayant miraculeusement survécu -mais avec de nombreuses séquelles- à une épidémie foudroyante qui aurait emporté la totalité de leurs gardiens et soigneurs. Je sors alors mon téléphone portable -pas tout à fait un téléphone intelligent, mais pourvu d’un médiocre appareil photo- afin d’immortaliser cette lente agonie.

 

 Je suis toujours frappé de constater que les projets estampillés les plus ludiques et pédagogiques, suscitant tout d’abord l’enthousiasme des élus, de la presse locale -et parfois même du public-, passées ces premières années de fraîcheur où des crédits leur sont alloués en nombre suffisant pour en assurer l’entretien, offrent par la suite, inexorablement, le spectacle le plus affligeant de leur total abandon. Plus personne pour réparer, nettoyer, remettre sur pieds ce qui est alors en proie aux intempéries, aux chiures d’oiseaux, aux dégradations volontaires et pour finir au mépris d’un public revenu de ses premières heures de molles excitations. Ne serait-il pas plus sage d’accuser le coup, de constater la lassitude et l’indifférence générale des spectateurs et de prendre ainsi la décision de mettre le projet au rebut, de refermer la page de ces attractions touristiques alors sur la phase déclinante de leur existence ? Il faut croire que les décideurs, tout comme le public, ont fini par totalement oublier les animaux du zoo unique au monde. Ces derniers se sont peu à peu fondus dans le décor, seul le visiteur étranger au quartier s’étonne encore, au hasard d’une flânerie de dimanche après-midi nuageux, de leur présence décatie, de ce spectacle désolant d’une faune bariolée jurant sur le fond gris du ciel et du ciment, immobiles et silencieux derrière les barreaux de leurs cages rouillées.

 

Les photographies qui vous sont présentées ici ont donc été réalisées par le mauvais appareil de mon téléphone portable, avec leur faible définition et une gestion des couleurs et des contrastes approximative. Mais cet aspect « Low-fi », cette qualité d’image médiocre, est en cohérence avec ce qui est montré : le côté cheap des sculptures et de leur mise en scène, d’un ridicule pathétique consommé. Je revendique donc ici une street photography éloignée des images parfaites issues des boîtiers pros et de la post-prod’ léchée.

Bon, il est facile de maquiller à posteriori l’absence de moyens en véritable choix esthétique. Toujours est-il qu’avec mon téléphone j’ai photographié ces animaux comme les badauds de l’époque, et qu’avec un peu d’imagination on pourrait presque entendre les cris de joie des enfants. Si l’envie vous en prend, n’hésitez pas à aller faire un tour au parc Longchamp, car "certains animaux ont résisté aux dégradations du public et sont encore visibles notamment dans les volières..."

 

"Very funny dis-donc !" fut l’un des premiers commentaires suscités par cette série.

 

 

 

Camille Pouyet, 2020

 

 

 

 

1https://www.tourisme-marseille.com/fiche/funny-zoo-parc-longchamp-marseille/ . Toutes les citations en italique proviennent de cette même source.