-Edito pour le 1er hors-série d'Endemic :

 

"Il y a au moins autant de manières d'interpréter le thème qui nous occupe ici que d'artistes ayant répondu à cet appel. Chacun apporte sa vision d'un sujet qui échappe -par définition- à toute tentative de cadre théorique. Voici quelques hors-pistes de réflexion : « Hors cadre/Hors champ » c'est par exemple décider que l'essentiel n'est pas visible. Pour une fois, ce que l'artiste donne à voir est ailleurs. La représentation est allusive, suggestive : un jeu érotique, où le désir de voir est contrarié, soustrait à la jouissance qui est son anéantissement. Face au non-visible, est prolongé indéfiniment le désir dans l'éros de l'attente. Figurer un manque, frustrer le regard. Nous sommes, spectateurs, victimes consentantes d'un érotisme de la contrariété. Hors champ/ Hors cadre pose cette question de l'absence. Une amputation, comme une sanction venant scinder le sujet, créer une fissure ou bien la construction d'un sujet/objet en devenir, dont le sens irradie de son incomplétude même. De ses promesses. Comme dans la poésie, est convoquée ici une archéologie du regard, forcée de gratter le palimpseste de nos représentations; et de construire l’œuvre d'après ses restes, qui nous sont donnés en pâture. 

Mais Hors cadre/Hors champ c'est aussi se placer délibérément en dehors des attentes, jouer sur le décalage, le pas de côté. Une forme de contestation des normes établies. Ce qui peut expliquer les références, plus ou  moins explicites, aux artistes anticonformistes ayant marqué l'histoire des Arts : de Le Greco à Kubrick, en passant par Magritte, Hitchcock et Gustave Courbet... Ils ont dynamité les codes, chacun à leur manière, et nous leur rendons ici hommage.

La notion de cadre implique l'idée d'une limite clairement définie. En revanche le champ est un concept plus flou, qu'on ne sait pas toujours délimiter avec précision. Le champ de vision ? Il peut varier selon les individus... le champ opératoire ? Le champ des possibles ? Il s'agit donc de sortir de ce qui est donné à priori comme point de focale, et de surprendre. Jouer l'incongru, l'inattendu. Certains des artistes ont ici choisi d’excéder leur cadre, de le saturer de sens pour en faire exploser les limites. D'autres y ont distillé quelques indices, fragments pour une synecdoque d'un tout qui se dérobe avec une fausse pudeur qui est comme un coup de projecteur. D'autres encore superposent des couches de sens, stratifiant le champ sémantique qui, en se démultipliant propose différents niveaux de lecture. Ou bien c'est l'oblitération par le vide, le rapt du sens, qui devient le pôle sémantique même de l’œuvre. 

Ici les corps cherchent à fuir, mal à l'aise dans l'espace qui veut les circonscrire, là ils se posent, tranquillement, présences insolentes nouées autour de l’événement dont ils nous détournent. Ailleurs c'est un pan de mémoire qui se déchire, des souvenirs qui se délitent sous l'effet du regard. 

 

Pour les vingt-cinq artistes réunis ici, s'exprimant à travers différents médiums (dessin, collage, photographie, peinture, texte) il s'agissait avant tout d'oser. Oser s'affranchir des limites, des normes, de l'horizon des attentes qui est un autre cadre. Avec poésie, insolence, et souvent beaucoup d'humour, chaque artiste nous offre son interprétation propre d'une œuvre « hors cadre, hors champ » : strates, reflets, oblitérations, vide, amputation... les tentatives sont multiples pour rompre avec les habitudes, et arpenter les chemins de traverse, les pistes inusitées du réel et de l'imagination. Alors sortez des rangs ! Et venez explorer avec nous ce premier hors-série du collectif niçois Endemic !

 

Camille Pouyet

Janvier 2015.